Les transformations que connaît l'agriculture exigent que les fermiers acquièrent des compétences entrepreneuriales pour capter de la valeur ajoutée et notamment dans les stratégies produits fermiers et circuits courts. S'engager dans l'agriculture aujourd'hui, c'est choisir un métier où il n'y a aucun problème de débouché. La grande question, c'est le "comment". La réponse réside dans la formation.
Jacques Mathé entretient un lien fort avec l'agriculture sur laquelle il porte également le regard de l'économiste. En 1984, avec une maîtrise d'économie en poche, Jacques Mathé fut embauché par la Chambre d'Agriculture des Deux-Sèvres pour former les agriculteurs à la gestion. Sa curiosité et son envie de partager son savoir et ses expériences l'ont conduit, tout en préparant un DEA d'aménagement du territoire, à partir à la découverte d'autres modèles agricoles, au Canada, au Québec et aux USA. De ces explorations il a acquis une conviction : "l'agriculteur doit analyser son marché et ses débouchés, comme un entrepreneur." Il s'est alors passionné pour l'économie rurale, est devenu professeur associé en Sciences économiques à l'Université de Poitiers, avec la volonté de "garder un des pieds dans la botte". Aujourd'hui, il développe une activité de consultant et collabore avec le laboratoire d'économie rurale de l'Université au sein de laquelle il continue de donner des cours. Son dernier livre, "Une agriculture du vivant" est sorti en 2020 aux éditions Libre et Solidaire.
Sous nos latitudes le réchauffement climatique va limiter nos capacités de production. Ensuite la raréfaction des surfaces cultivables sous l'effet de l'artificialisation des sols met la pression sur le foncier. Nous allons entrer dans une phase où les volumes ne pourront pas croître comme ils ont cru pendant les trente glorieuses, alors que les limites et l'environnement n'étaient pas encore des enjeux. Enfin, la nécessité de prendre en compte l'environnement contraint les agriculteurs à changer de méthodes et de pratiques culturales et à aller vers des stratégies très diversifiées. La donne de l'agriculture est bouleversée et il faut s'adapter.
À côté du modèle classique fondé sur les volumes, les monocultures et les grandes surfaces, on voit émerger trois axes stratégiques nouveaux. Le premier s'appuie sur une production plus qualitative, dotée de caractéristiques propres, telles que des normes ou des origines, dans le cadre d'un partenariat entre l'agriculteur et un ou des grands acteurs de l'agro-alimentaire et sur la base d'un cahier des charges. C'est typiquement le cas du lait "C'est qui le patron", négocié à l'échelle de la filière laitière. La deuxième stratégie consiste à faire le choix des méthodes et des pratiques agroécologiques. Ce modèle, qui se développe, exige d'acquérir de nouvelles compétences techniques. Le levier de ce changement, c'est la formation. Il est crucial que l'agroécologie et l'agriculture biologique soient intégrées aux dispositifs de formation. Quant à la troisième stratégie, elle consiste à se connecter directement aux clients finaux en vendant directement ses produits. C'est la révolution du circuit court et des produits locaux et fermiers.
"S'engager dans l'agriculture aujourd'hui, c'est choisir un métier où il n'y a aucun problème de débouché. La grande question du métier, c'est le "comment".
Dans cette stratégie, l'agriculteur valorise lui-même tout ou partie de sa production car il la transforme. Il vend ses produits fermiers en direct et les livre dans sa région et au-delà. C'est une stratégie qui reconnecte fortement chaque ferme à son territoire, avec son agronomie et ses sols particuliers. Dans cette configuration, le territoire, porteur de valeurs, incarné dans un paysage, est un puissant facteur de différenciation et donne de la valeur aux produits fermiers. Prenez l'exemple de la Vallée des Aldudes, une des montagnes les plus isolées de France, qui a fait renaître le porc basque. Ce territoire présente maintenant un excellent taux d'emploi et un nombre de fermes record. Donc oui, si on se place à l'échelle des territoires, la "ferme France" a un énorme potentiel de création de valeur. Mais c'est un vrai défi pour la formation des agriculteurs.
Ces transformations mobilisent des compétences supplémentaires et nouvelles, car en plus des techniques agricoles, l'agriculteur doit maîtriser de nouveaux métiers en fonction des stratégies qu'il choisira. Il devra peut-être se former à la cuisine, à la boulangerie, au commerce, à la logistique... Il faut acquérir des compétences entrepreneuriales pour capter de la valeur ajoutée dans ces productions fermières. S'engager dans l'agriculture aujourd'hui, c'est choisir un métier où il n'y a aucun problème de débouché. En tant qu'économiste je ne connais pas beaucoup de secteurs d'activité qui offrent une telle visibilité. La grande question du métier, c'est le "comment". Il faudra y répondre, et encore une fois, la réponse réside dans la formation. C'est une perspective passionnante.