« Dans la vie, il y a deux catégories d'individus : ceux qui regardent le monde tel qu'il est et se demandent pourquoi, et ceux qui imaginent le monde tel qu'il devrait être et qui se disent : pourquoi pas ? » Aymeric Jung a fait sienne la citation de G.B Shaw. Selon l’associé gérant de Quadia, société dédiée à l’impact investing privilégiant les principes de l’Economie Régénératrice, le modèle d’affaires d’une entreprise doit se rapprocher au plus près du fonctionnement du vivant, sur toute sa chaîne de valeurs…
Quel a été votre cheminement ?
J’ai une expérience en banque d’affaires sur les marchés financiers. Mon métier consistait à trouver des solutions aux problèmes des clients en matière de risque, rentabilité, liquidité ou volatilité… J’applique désormais cette recherche de solutions à un autre domaine car en 2007, j’ai commencé à m’intéresser au dysfonctionnement de notre système alimentaire, un colosse aux pieds d’argiles qui nous rend malades tout en épuisant la planète. J’ai aussi regardé le rôle de la biodiversité et du sol. J’ai vu l’émergence de nombreux engagements dans les milieux de l’Agroécologie et de la Permaculture tels que Slow Food, Terre de Liens, et la Fondation Lunt. Aujourd’hui, mon quotidien c’est le capital développement pour des entreprises qui transforment leur chaîne de valeurs, avec des biens et services créant de l’Impact positif : « C’est construire un nouveau paradigme et déployer une nouvelle dynamique économique réconciliant le court terme avec le long terme ».
Qu’est-ce qui vous a conduit à vous engager pour une finance à impact ?
D’abord un questionnement sur les dérives d’un système, puis des rencontres avec des entrepreneurs passionnés et passionnants qui proposaient autre chose que de produire davantage de nourriture au moindre coût. J’ai aimé leur approche reposant sur la qualité nutritionnelle, le local et la logistique par exemple. Cela prouve que mieux allouer notre production de nourriture tout en changeant notre comportement ou régime alimentaire sont des solutions pérennes, et pas une approche quantitative ou consumériste. Investir et s’investir pour construire l’avenir que l’on souhaite s’appelle tout simplement l’engagement et dans le cadre actuel d’urgence environnementale et sociale, cela me semble être du bon sens pour être acteur d’une transformation et d’un basculement nécessaires. Je ne savais pas au départ, en 2007, que cela s’appellerait la finance à impact !
Au-delà de l’impact investing vous préconisez l’Economie Régénératrice. Quel en est le cadre ?
Quadia a en effet clôturé cette année la levée du fonds Regenero Impact Fund de 52,6 millions d’euros en partenariat avec la banque Degroof Petercam. L’Economie Régénératrice, telle que nous la concevons, repose sur notre coopération avec la Fondation Lunt et l’Université de Louvain. Elle se fonde sur les quatre piliers que sont le Local, le Circulaire, le Fonctionnel, le Collaboratif tout en étant Bio-inspirée. Ces piliers sont à la base du fonctionnement de tout écosystème naturel. Pour nos investissements, nous observons le « modèle d’affaire d’une entreprise » et nous cherchons à le rapprocher du fonctionnement d’un écosystème vivant. D’un point de vue macro-économique, il s’agit d’une économie capable de rendre plus qu’elle ne prend. Cela n’existe véritablement qu’en agriculture durable où l’on crée de la valeur économique tout en restaurant le sol et la biodiversité. C’est essentiel d’étendre ces principes à une plus large partie de notre économie.
Pouvez-vous nous donner des exemples d’entreprises que vous accompagnez ?
Dans le domaine de l’alimentation : La Ruche qui dit Oui, un acteur majeur des circuits courts qui a développé de nouveaux débouchés en direct pour de nombreux petits producteurs. Les Côteaux Nantais où le respect et l’observation du vivant mènent à des produits de haute
qualité reposant sur la biodiversité mais aussi à des solutions de transformation pour éviter le gaspillage. Biogroupe avec l’utilisation de la fermentation pour du Kombucha et des desserts végétaux, et bien sûr Miimosa, plateforme de crowdfunding dédiée aux projets d’agriculture et d’alimentation durables. Dans le contexte d’une nouvelle économie, je peux citer SofiGroupe qui reconditionne les téléphones portables ou SOS Accessoire qui permet de réparer soi-même son électroménager grâce à leurs diagnostics et tutos en ligne, et à la vente de la pièce détachée nécessaire. Ces deux entreprises représentent une économie de matière et une baisse d’extraction de matière considérable. Enfin Patatam, véritable logisticien du vêtement d’occasion. Il y a aussi des associations, à titre personnel par exemple Terre de Liens et Slow Food, ou l’ESS en Suisse.
Quelle est votre méthodologie de gestion de l’impact pour les entreprises dans lesquelles vous investissez
En 2017, nous sommes passés de la mesure d'impact à la gestion active de l'impact. Notre méthodologie repose sur quatre objectifs transversaux qui sont intégrés dans l'ensemble du processus d'investissement, de l'identification des opportunités à la diligence raisonnable, de la gestion des investissements à la sortie. Co-construits avec les entreprises cibles, ces quatre objectifs sont :
- la promotion de la production et la consommation circulaires,
- l’optimisation de l'utilisation des ressources naturelles,
- la promotion d’une chaîne de valeur équitable,
- l’accompagnement des communauté locales.
Ces objectifs sont déclinés en 16 indicateurs, évalués pour chaque entreprise. L'engagement de Quadia est d'aider les entreprises à maximiser la création d'impact tout au long de la période d'investissement. Cette méthode permet d'aller au-delà de la simple mesure d'impact, selon un plan d'action qui correspond au cœur de la Théorie du Changement que nous avons développée. Notre particularité est d’avoir une action transversale. On fait en sorte que l’impact devienne stratégique pour l’entreprise au lieu de se contenter de s’attribuer l’impact que crée l’entreprise.
Selon vous, comment favoriser l’investissement à impact ?
Tout investissement a un impact. Dans le cadre de la transformation environnementale et sociale de notre économie, il y a l’investissement qui réduit l’impact négatif et celui qui crée l’impact positif. Pour favoriser l’investissement à impact, je pense qu’il faut qu’il devienne naturel et évident car c’est bien de notre avenir à tous dont il s’agit en interdépendance. Il convient donc de privilégier au sein de toute la population l’éducation et la compréhension de notre environnement. Cela s’appuie sur des consommateurs moins individualistes, des actionnaires avec une vision commune du rôle de l’entreprise ne se limitant pas au seul profit à court terme (comme en bourse avec des investissements indiciels) et un Etat régalien qui oriente et soutient la transformation sociale (comme par exemple la juste répartition de la richesse créée et de la gouvernance) et environnementale, (comme la juste prise en compte des externalités).