Éleveur en Bourgogne Franche Comté, Émilien Claudepierre est à la tête d’un élevage de vaches laitières sur 145 hectares. Et la priorité, dans son travail, c’est la sérénité. Être agriculteur et avoir du temps pour soi, sa famille et ses loisirs, c’est possible. Avec une organisation bien pensée et une recherche de valeur ajoutée dans sa production laitière, Émilien y parvient !
Pouvez-vous nous décrire votre parcours ?
Originaire de Lorraine, j’ai fait un bac scientifique dans un lycée agricole assez loin de chez moi : je voulais voir à quoi ressemblait l’agriculture dans une autre région et je suis passionné d’élevage, ce qui a motivé mon choix pour la Bourgogne Franche Comté.
Ensuite j’ai continué avec un BTS production animale, avant de faire un certificat de spécialisation en élevage laitier. J’ai réalisé mon apprentissage sur l’exploitation des parents de ma conjointe que j’avais rencontrée au lycée. En 2011, je me suis installé avec ses parents, en remplaçant son oncle et sa tante. En 2013, ma femme nous a rejoints donc nous étions deux couples sur l’exploitation. Ses parents sont partis à la retraite en 2016 et nous souhaitions trouver des associés qui s'installeraient avec nous, mais nous n’avons pas rencontré de candidats adaptés et nous avons aujourd'hui 2 salariés.
Vous trouvez que recruter un salarié est plus simple que de trouver un associé ?
Ce ne sont pas les mêmes enjeux mais ce n’est pas plus simple. On a eu la chance, par du bouche à oreille, de trouver deux salariés avec qui ça se passe très bien. Quand on est employeur, on doit gérer tout un volet ressources humaines (départs, recrutement, management), mais on reste maître sur sa ferme et on a pas à s’entendre avec des associés sur les orientations de l’exploitation. Un associé est censé être plus fiable, rester plus longtemps qu’un salarié, mais cela se démontre de moins en moins : même avec des liens financiers, les jeunes ne s’inscrivent plus forcément dans la durée et il faut s’adapter à ces nouvelles attentes.
Outre votre travail d'agriculteur, préserver une séparation vie pro/vie perso vous tient à cœur : quels outils d’aménagement du travail avez-vous pu mettre en place pour préserver cette séparation ?
C’est parfois compliqué de séparer le pro du perso, surtout quand on a la maison sur l’exploitation. Mais on y tient vraiment et l’un des objectifs principaux de notre système d’exploitation, c’est de se dégager du temps pour plusieurs choses : déjà du temps pour la famille, les vacances car on aime bien voyager, mais aussi pour nos engagements professionnels en dehors de l’exploitation : je suis vice-président des Jeunes Agriculteurs de Bourgogne Franche Comté, ce qui me prend 2 à 3 jours par semaine. Ma femme est investie au conseil d’administration de notre coopérative où elle gère le personnel, cela lui prend beaucoup de temps aussi, sans compter des engagements associatifs auprès de la commune.
Comment se passe la répartition du travail avec vos salariés ?
On a défini un planning très précis qu’on essaie de tenir. On a chacun nos horaires de travail en astreinte en fonction des deux traites et de nos vies respectives. C’est une organisation rigoureuse pour respecter les horaires de nos salariés. Chacun a son planning et on se relaie, pour être tout le temps 2 à travailler sur la ferme. Pour les périodes de rush, on peut être 3 ou 4 à travailler mais c’est rare, car nous avons des enfants en bas âge donc ma femme ou moi devons être à la maison à certains moments pour nous occuper d’eux.
On a aussi fait le choix de travailler 1 week-end sur 2 et d’avoir en plus un jour de congé par semaine. On ne fait qu’une traite par jour et par personne : si on trait le matin on ne trait pas le soir et vice-versa. Cela permet de finir plus tôt ou de se lever plus tard, pour s’occuper des enfants mais aussi pour avoir le plaisir de dormir un peu plus et de ne pas se lever tous les jours à 5h30 ! En période de routine, on ne fait pas plus de 30-35 heures sur la ferme, ce à quoi on rajoute un peu de travail administratif. C’est une organisation confortable où on a pas besoin d’aide extérieure : si un salarié est en arrêt ou en congés on peut se répartir sa charge de travail sans avoir à embaucher en son absence. En termes de vacances, on part 2 semaines en été, 1 semaine en hiver plus quelques jours pour des week-ends prolongés, pour aller au ski par exemple en ce moment !
Y a-t-il une journée de travail type dans votre exploitation et si oui à quoi ressemble-t-elle ?
L’élevage laitier nous permet d’avoir des journées bien rythmées : la première traite se fait de 6h à 8h, puis la seconde entre 17 et 19h. En hiver, un jour par semaine on s’occupe des génisses, et au printemps-été on sera davantage dans les champs.
En terme de répartition des tâches, on a un salarié qui est vraiment spécialisé sur le troupeau en binôme avec ma femme ; de mon côté je suis en binôme avec notre autre salariée qui est plus polyvalente : elle fait la traite aussi bien sûr, mais elle va aussi travailler avec d’autres outils type tracteur que l’autre salarié utilise peu. Et de mon côté je gère le parcellaire, les champs et un peu d’administratif.
Vous avez pour projet de vous lancer dans un projet photovoltaïque : pourquoi ? Comment allez-vous mettre en place ce projet ?
Pour nous le photovoltaïque n’est pas une activité supplémentaire mais elle vient comme un complément de revenus car on a un objectif d'autonomie sur l’exploitation, sur tous les postes possibles. Pour l’énergie, on a fait le choix d’une centrale photovoltaïque en autoconsommation avec vente du surplus, ce qui nous a permis de valoriser une toiture de bâtiment d’élevage qui était à refaire. On sèche le foin en grange car cela permet de donner moins de concentré aux vaches, ce qui correspond au cahier des charges de l’AOP Comté et cela nous permet d’être autonomes au niveau alimentaire. Mais en contrepartie, le fait de ventiler le foin consomme beaucoup d’énergie, ce qui devient un problème maintenant que le prix de l’électricité est en forte hausse. Le projet c'est 200 KW de puissance installée : on va vendre 90% de la production et les 10% restants seront autoconsommés ce qui représentera 50% de nos besoins en énergie. Ce projet a été financé avec un prêt bancaire mais aussi avec nos fonds, afin de garder un maximum d'autonomie.
Tout ce qui est possible sur notre exploitation (avoir 2 salariés, financer sans problème un projet de photovoltaïsme…), c’est grâce au fait qu’on soit en AOP Comté et qu’on ait une rémunération du prix de notre lait qui soit presque le double du prix du lait standard, ce qui est la juste valeur de notre travail. Nous sommes allés chercher la valorisation de notre produit, cela nous permet d’être souples sur notre trésorerie et de mener à bien des projets, faire des innovations et investissements sans avoir de difficultés financières. Si nous n’étions pas dans l’AOP, notre exploitation ne ferait vivre que deux personnes : on pourrait y travailler avec ma femme mais notre qualité de vie ne serait pas du tout celle qu’on a aujourd’hui. Aujourd’hui, on vit décemment et on est plutôt sereins sur notre avenir, malgré les inquiétudes que le réchauffement climatique fait peser sur le secteur agricole.