D'un côté l'agriculture est mise en cause par l'opinion publique pour son impact environnemental et de l'autre elle est la première victime du changement climatique. Face à l'incertitude, il faudra former les agriculteurs à l'agilité ; choisir et former des profils qui seront en perpétuel apprentissage. Car les aléas pédoclimatiques les obligeront à réexaminer en permanence leurs choix de production.
Après une thèse de doctorat en sciences de gestion et de management sur les stratégies de développement durable soutenue à l'Université Jean Moulin/Lyon III, Bertrand Valiorgue devient en 2008 enseignant-chercheur à l'Université Clermont Auvergne. C'est là qu'il cofonde la chaire Alter-Gouvernance, et qu'il met un pied dans le monde de l'agriculture via ses recherches sur la gouvernance des coopératives agricoles. Très vite il s'intéresse au défi climatique qui vient car « c'est à l’échelle de la ferme que tout va se passer ». Il décide d'explorer le monde agricole confronté au nouveau régime climatique. Comment l'agriculture doit-elle penser ce basculement dans la nouvelle ère géologique de l'anthropocène ? Il développe ses réflexions sur ce sujet passionnant dans un livre sorti en 2020 aux Editions du Bord de l'Eau : "Refonder l'agriculture à l'heure de l'Anthropocène". Regard d'un chercheur en stratégie et gouvernance des entreprises sur l'avenir de l'agriculture.
D'un côté l'agriculture est mise en cause par l'opinion publique pour son impact environnemental et de l'autre elle est la première victime du changement climatique. Le basculement dans l' "anthropocène"- terme qui désigne l'ère géologique marquée par l'influence de l'homme sur l'écosystème terrestre - la fragilise. L'anthropocène est caractérisée par une augmentation des températures, des ressources en eau moindres, plus de lumière, une biodiversité appauvrie et des sols fragilisés. C'est une transformation profonde et durable du système Terre. Ajoutez à cela qu'en même temps le monde agricole est challengé dans son existence même par l'alimentation cellulaire qui se propose de remplacer purement et simplement l'élevage. Aujourd'hui, pour le monde agricole, le statu quo est impossible. L'agriculture doit se réinventer pour prendre sa part à la lutte contre le réchauffement climatique et pour s’adapter au nouveau régime climatique.
Les méthodes de l'agriculture régénératrice qui consistent à limiter le labour et à maximiser la couverture végétale sont les plus à même de capter le CO2 et donc de contribuer à freiner le réchauffement climatique, voire à réparer le système Terre. L'agriculture doit y apporter sa part et elle peut même contribuer à le réparer car le stockage de CO2 dans les sols est un levier puissant.
Ensuite les agriculteurs vont devoir réinventer leur métier car l'Anthropocène modifie les conditions de leur activité. Cette nouvelle ère apporte de nouveaux risques : épisodes climatiques extrêmes, sècheresses, gel, précipitations importantes, nouvelles maladies comme le puceron de la betterave. Dans ces conditions, l'agriculteur sera confronté à une incertitude radicalement accrue. Quelle variété choisir pour les blés si les températures deviennent imprévisibles ? Dois-je arracher les cépages pour les remplacer par de la vigne plus résistante ? Face au bourgeonnement précoce de ce printemps qui a été suivi par un gel destructeur, faut-il choisir des pommiers plus tardifs ? Les agriculteurs n'auront pas d'autres choix que d'adopter des stratégies et des solutions adaptatives face au nouveau régime climatique qui s’installe en France.
Il est indispensable que la formation se mette au diapason. Face à l'incertitude, il faudra former les agriculteurs à l'agilité ; choisir et former des profils qui seront en perpétuel apprentissage. Car les aléas pédoclimatiques les obligeront à réexaminer en permanence leurs choix de production. Un fermier ne pourra plus s'appuyer sur le passé pour reproduire et optimiser le modèle sur lequel fonctionne sa ferme. Cela implique notamment de puiser des choix de production végétale et animale dans la diversité du vivant pour trouver des opportunités. Or on a eu tendance depuis la deuxième révolution agricole à concentrer nos productions animales et végétales sur une poignée d'espèces et de variétés alors que la diversité du vivant est immense. On va donc redécouvrir de nouvelles espèces. C'est indispensable pour être résilient. Par exemple, dans le Puy-de-Dôme, on commence à cultiver des légumineuses, ce qui est nouveau. Cela implique un rapport très fort avec le savoir et la connaissance. Donc une grande curiosité. Je pense à cet égard qu'il faut que la formation encourage des méthodes collaboratives d'acquisition des connaissances, sur le mode de l'échange. Et que ces réflexes de curiosité continuent après la formation à travers des échanges entre agriculteurs, à l'échelle d'une biorégion.
"On a eu tendance depuis la deuxième révolution agricole à concentrer nos productions animales et végétales sur une poignée d'espèces et de variétés alors que la diversité du vivant est immense."
Je lui dirais que l'alimentation va devenir une question prégnante avec le dérèglement climatique et que les Français sont très attachés à leurs agriculteurs. Donc, ce métier a un avenir. Je lui dirais aussi qu'il doit être curieux. Enfin, je lui conseillerais de bien évaluer la trajectoire climatique de son lieu d'installation pour choisir les productions adaptées et trouver les opportunités que ce terroir peut offrir. En d'autres termes, il faut qu'il soit stratège.
Pour en savoir plus: https://www.bertrand-valiorgue.com/