Avant de partir élever des poules dans le Calvados, Gaëlle Bonnieux était cadre dans la finance à impact. En 2019 elle change de vie et co-crée Gonne Girl, une ferme diversifiée avec 1000 poules pondeuses, 2000m² de maraîchage, un gîte et une pension pour chevaux Elle nous a expliqué comment elle organise leurs nombreuses activités et a adopté la méthode “lean” pour gérer la ferme.
Vous avez commencé votre carrière dans le domaine de la finance, avant de créer la ferme GonneGirls : comment avez-vous vécu le changement en termes de méthodes de travail et quelles compétences de votre ancien métier vous ont été utiles dans votre parcours agricole ?
Effectivement, le travail est assez différent car je travaillais dans une grosse équipe pour un gestionnaire d’actifs donc tout était très établi, structuré, processé… Lancer sa ferme, ça veut dire faire beaucoup de choses toute seule et donc être extrêmement polyvalent quand on démarre ce genre d’activité. Je l’ai plutôt vécu comme une grande liberté, et en même temps c’est assez vertigineux de se retrouver seule pour développer une activité en partant de rien.
Les expériences qu’on avait avec Claire, mon associée, dans nos emplois respectifs nous ont quand même aidées à bien préparer le lancement de l’exploitation. Claire a un profil marketing et communication donc elle a fait tout le travail de visibilité : définir le nom, la marque, faire parler de nous… Cela a été un facteur important pour faire connaître la ferme et notre activité de vente directe. Quant à moi, j’ai des compétences en gestion de projet, ce qui m’a été très utile pour définir un business plan, évaluer les risques et comment les réduire, anticiper les besoins de trésorerie, gérer des deadlines multiples, contacter les banques, aller chercher des subventions, démarcher des partenaires privés… Pour tout cela mes précédentes expériences m’ont été très utiles.
Vous travaillez le “lean management” sur la ferme, une pratique plutôt répandue dans l’industrie : comment l’avez-vous adaptée aux travaux agricoles ?
Cette année sur la ferme nous sommes 2 associées et une salariée. Nous nous sommes également associées avec 5 maraîchers qui ont repris la partie maraîchage en espace test agricole depuis le début d’année, donc on est quand même assez nombreux sur la ferme.
Les méthodes de lean ce n’est pas nous qui les avons développées, c’est Ben Hartman, un américain qui a fondé la théorie et écrit des livres qu’on a lus avec beaucoup d’attention. Le concept, c’est de gagner plus, avoir une activité plus rentable en travaillant moins et en réduisant la pénibilité, ce qui est une idée assez séduisante !
Nous n’avons pas adopté le lean au niveau des outils - kanban, boards etc qui sont les outils classiques du lean management - mais plutôt dans l’approche : on est en réflexion permanente sur les points de difficultés dans nos process. Par exemple si on sait qu’il y a un moment pénible dans l’année, qui génère du stress, s’il y a une action ou une activité qui est pénible physiquement, pour tous les moments où on est dans l’attente et qui créent de la frustration ou des pertes financières, on va tout de suite essayer de trouver des solutions, de changer de modèle pour réduire les charges portées, les déplacements, les temps d’attente et les difficultés quelle qu’elles soient. On le fait de manière assez agile dans la gestion de notre exploitation, on s’efforce toujours de repenser, d'améliorer les modèles. Ça peut être un peu perturbant pour certaines personnes qui aiment la stabilité, la régularité car on est dans un processus d’amélioration permanente.
Par exemple dans la gestion des poules pondeuses, jusqu’il y a peu on les nourrissait avec des seaux : on remplissait des seaux de granulés, on les mettait dans la remorque du tracteur pour les amener jusqu’aux champs et aller nourrir les poules. On a 1000 poules, donc c’est 130 kilos de nourriture à porter chaque jour : c’est lourd, il faut se pencher, les soulever, faire beaucoup de mouvements. Quand on le fait tous les jours, c'est extrêmement fatiguant. Dans un premier temps on a commencé par mettre en place une solution organisationnelle avec des systèmes de rotation pour pouvoir s’entraider et que ce ne soit pas toujours la même personne qui fasse ce travail. Dans un second temps, on a décidé d'investir dans de grosses mangeoires qu’on a installées dans les champs et qu’on va remplir directement avec le tracteur. Cela a demandé un investissement financier, on n'avait pas forcément énormément de ressources financières mais on s’est organisées pour les trouver. Cela change un peu notre système mais on ne voulait pas passer notre vie à porter des seaux. Ça parait simple, mais parfois on peut passer des années à faire des choses pénibles sans forcément remettre en question la manière dont on les fait. On ne l’a pas remis en question avant car tous les lieux dans lesquels on a fait nos stages… les gens portaient des seaux !
On avait également un process qui prenait énormément de temps, qui est la vente des poules pondeuses de réforme (NDLR : les poules de réforme sont des poules “à la retraite”) qu’on les vendrait aux particuliers sur Le Bon Coin. On a 1000 poules à vendre par an et c’est beaucoup de travail d’échanger sur Le Bon Coin, d’aller chercher les poules à chaque fois que des acheteurs viennent en récupérer même si on a limité les heures de vente à la ferme. La personne qui s’occupe des poules n’a plus le temps de faire autre chose, tout son temps est dévoué à la vente. On a fini par trouver un partenariat avec une structure qui peut nous racheter les poules, certes à un prix nettement inférieur à celui qu’on fixait en vente directe pour les particuliers, mais ça nous permet de gagner tellement de temps de travail que c’est tout de même avantageux pour nous.
Rien n’est vraiment révolutionnaire, on ne réinvente pas le système agricole, loin de là, mais on a constaté qu’il y a quelque chose qui fait, dans la nature humaine, qu’on a tendance à ne pas se poser de questions et juste répéter des tâches pénibles !
Tout en gérant votre exploitation, vous travaillez également pour South Pole, une entreprise qui aide à la création de projets pour réduire les émissions de gaz à effets de serre : comment organisez-vous votre temps en tant que manager de ferme ?
C’est très récent je n’ai commencé qu’il y a un mois ! On a décidé cette année avec mon associée de nous extraire de la partie opérationnelle de la ferme. Cela nous permettra de réfléchir à la suite et préparer l’exploitation à sa prochaine étape de développement qui nécessite aussi des investissements financiers et un apport personnel, donc reprendre une activité salariée pour mettre de l’argent de côté, prendre du recul par rapport à l'opérationnel et aussi faire une petite pause car cela fait 4 ans qu’on travaille dur physiquement, donc on avait besoin d’un petit moment pour reprendre un respiration.
En ce moment je travaille 4 jours par semaine pour South Pole et je dédie 1 journée à l’exploitation, plus certains week-ends pour s’occuper des poules, préparer les poulaillers mobiles… On a organisé les activités avec notre salariée Emma et le groupe de maraîchers qui s’occupe aussi des poules. On a mis en place un système où un équivalent temps plein de l’équipe maraîchage est assigné à notre activité pondeuse. Avec Claire on a réparti entre nous la gestion et la supervision de la ferme pour assurer une bonne rotation sur les aspects opérationnels, administratifs, financiers, communicationnels… En plus de ces tâches, Claire s’occupe principalement des chevaux et je m’occupe davantage du gîte.
En réalité ça a toujours été un peu comme ça car nous n’avons jamais été seulement agricultrices, principalement pour des raisons financières au début car il fallait investir dans le projet, avoir des compléments de revenus et c’est pour cela que nous nous sommes orientées vers la diversification avec 4 activités : les poules pondeuses, le maraîchage, le gîte qui nous permet aussi d’accueillir des séminaires d'entreprises et la pension pour chevaux. On est un peu habituées à jongler avec plusieurs activités à la fois, l’important c’est de trouver le juste équilibre entre travail et revenus !
Une journée typique à la ferme Gonne Girls, ça ressemble à quoi ?
Il n’y a pas vraiment de journée type à la ferme Gonne Girls ! Un exemple de journée, cela pourrait être nourrir les poules et ouvrir les serres à 8h30, ensuite faire le mirage de la récolte d’oeufs de la veille - le mirage et le calibrage, c’est trier avec une machine les oeufs en fonction de leur taille, et voir s’il y a des fissures dans les oeufs - puis préparer les commandes pour les clients qui viennent chercher leur panier à la ferme. Tout cela prend à peu près 2-3h, à 11h30 on retourne nourrir les poules et faire la récolte des œufs du jour, ce qui prend environ 1h ou plus s’il faut bouger les poulaillers mobiles. Après la pause du midi, on va par exemple installer des clôtures pour anticiper le mouvement des poules, aller faire un tour de vérification au gîte avant l’arrivée de clients et les accueillir, et en fin de journée généralement on vérifie si tout va bien au poulailler, si les poules ont bien assez d’eau, etc… On passe aussi voir comment vont les chevaux, mettre ou enlever les couvertures, vérifier qu’ils n’ont pas de bobos…
En revenant sur votre parcours, pensez-vous avoir fait des erreurs ou au contraire y a-t-il des réussites dont vous êtes particulièrement fière ?
On a démarré l’exploitation sans avoir travaillé dans une ferme sur une longue durée, ce qui a été à la fois une force et une faiblesse. Une force car nous n’avions pas d’idées préconçues, on était assez ouvertes sur la manière dont on allait créer notre entreprise et tout nous semblait possible. Cela nous a peut-être permis d’être plus libres dans notre manière d’approcher les activités. Et en même temps le fait d’avoir une expérience sur le long terme nous aurait probablement mieux préparées psychologiquement et physiquement à ce qui nous attendait. On s’est beaucoup investies sur la lancement de la ferme, sûrement trop vite et trop fort, donc si c’était à refaire j’essaierais d’avoir de l’aide plus tôt pour pouvoir avoir plus d’énergie et moins travailler car c’était très dur et très intense, particulièrement pendant les deux premières années, où on a beaucoup travaillé seules. Si c’était à refaire, on ferait peut-être une préparation un peu plus longue et on s’entourerait dès le départ.
Sur les choses qu’on a bien faites, je citerais le fait d’avoir lancé une activité diversifiée car ça nous a vraiment sauvées pendant le Covid, d’avoir la vente à la ferme et plusieurs activités, nous n’étions pas dépendantes d’une seule source de revenus.
L’installation en collectif avec les maraîchers a vraiment été un facteur qui nous a permis de nous recentrer. L’activité diversifiée c’est très bien mais il faut aussi choisir où est-ce qu’on met nos efforts et ce qu’on peut déléguer. L’entraide c’est important !
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